RP :Une poursuite dangereuse [PV: Anator Dalonevar;Alastor Haborym]

Treilka. Cela ne faisait qu'un mois que je partageais le quotidien des humains, et cela commençait déjà à me lasser. Ces êtres étaient divertissants au début avec leurs grandes émotions dégoulinant dans des accès enfiévrés toujours moins justifiés de larmes et de convulsions, mais les humains sont trop fragiles. Une simple bousculade suffit à leur rompre les os, une estafilade à les vider de leur sang. Je comprenais maintenant pourquoi les vampires avaient jeté leur dévolu sur eux. Ils saignaient abondamment et facilement.

En plus du dépit qui m'affligeait, je devais supporter un temps des plus agaçants. Les températures élevées et l'air suffocant de Foreoh me manquaient d'autant plus alors que je devais plonger dans cette froidure quotidienne et m’accommoder de cette neige qui me donnait des sensations désagréables et surtout inhabituelles au contact de ma peau. Nous étions en Despertÿ et c'était l'hiver. Celle-ci s'évaporant instantanément, quelle hérésie! Rien ne valait la douce chaleur de la Fournaise.

Dès mon arrivée, j'avais élu domicile dans le quartier le plus mal famé selon les dires des autochtones. Mal famé... Il suffit de s'adonner aux plaisirs de la chair sans vergogne ou de commettre quelques crimes pour être qualifié de non recommandable dans cette contrée. Autant dire qu'un démon, entre autres choses, n'étais pas le bienvenu. C'est pourquoi lorsque je séjournais en dehors de Foreoh, je parais mes yeux, seul élément trahissant ouvertement ma condition, d'un voile d'illusion hypnotique qui faisait voir un regard vairon vert et bleu en lieu et place de l'original. Bizarrement, malgré le caractère mal vu des pratiques dont j'avais l'habitude, je n'eus paradoxalement aucune difficulté à trouver des gens qui ne se firent pas prier pour me loger et me renseigner contre quelques pièces.

Bien sûr, je proposais mes qualités de maître d'arme à la populace aisée de la ville comme couverture, mais je dois avouer qu'au final, les missions qui m'étaient confiées relevaient davantage de la vengeance et de pulsions meurtrières par procuration. Finalement les humains aimaient les même choses que moi, à ceci près qu'eux se cachaient derrière leur morale pour commettre l'infâme. L'un de ces lieux où je tirais mon épingle du jeu et dénichais quelques contrats ténébreux n'était autre que la célèbre bâtisse féministe. Un lieu qui par sa profusion de vices de toutes sortes et de débauche me rappelait l'endroit où j'avais grandi, du moins ces bons côtés...


Ce jour là, après avoir pris le loisir de chômer pour aller me dégourdir l'épée gratuitement dans les Bois, où je trouvai quelques bêtes surprenantes, je décidai de passer dans ce lupanar pour voir si du travail m'y attendait.
Après m'être décrotter du mieux que je pus à l'entrée, par respect pour cette oasis de luxure, je pénétrai dans une atmosphère sophistiquée et rustique en même temps. Des murs lambrissés, un parquet en pin lustré ainsi que des draperies rouges comme uniques remparts contre les regards indiscrets, servaient de décor à un spectacle permanent de sensualité dévoilée.

Mon arrivée avait vite été remarquée car quand j'arrivai au comptoir orné de zinc, la gérante elle-même me salua et m'entretins de la présence d'un possible client pour qui l'or n'était pas un problème. Ces femmes sentaient cela à des kilomètres au même titre que moi je pouvais sentir que cet argent, pour une fois, ne serait pas aussi facilement gagné. L'opulente femme m'indiqua l'homme en question assis à une table à l'abri des regards ou du moins autant que possible. Alors, après lui avoir commandé mon habituel cocktail de mélasse, une recette personnelle où se mêlent les arômes délicats de plusieurs alcools puissants et de divers sirops dans une purée de prunes liquoreuses, je traversai la salle et m'assis dans un grincement de bois plaintif devant mon futur client encapuchonné puis lança sans transition:

-"Il paraît que vous vouliez me voir."

Mon arrivée fit sursauter l'humain. Il ne m'avait visiblement pas vu venir et afficha un air surpris qui m'amusa, puis qui se transforma en cet autre air dont j'ai l'habitude: l'air scrutateur de celui qui observe un monstre de foire... Au début, cela m'enrageait, ce jour là, je n'en avais cure. A quoi bon... Cette situation ne dura pas longtemps, et quand il reprit contenance, mon interlocuteur baissa les yeux sur son verre comme pour y trouver ce qu'il allait me dire. Finalement, ce verre ne le satisfit pas car il le leva en direction du comptoir dans un geste qui voulait dire: *Mon verre est vide et j'aimerais bien y remédier*. Alors, il commença.

Cet homme n'était pas différent de mes autres clients. Il avait la même attitude hautaine que tous ces riches gens, avides de vengeance mais n'osant pas se salir les mains. A ceci près que dans l'énoncé de la mission, celui-ci requérait une alliance, ce qui n'était pas dans mes habitudes. Le bougre avait cependant dit les mots magiques. ...grassement payé... Ça incitait à réfléchir encore un peu. Je ne suis pas matérialiste et les possessions ont tendance à m'encombrer, mais l'or amène le pouvoir et... j'aime le pouvoir. En plus, il avait parlé de vampire, ce qui élèverait le niveau de mes contrats dans ce Royaume.

Dans ces propos, j'avais aussi décelé une pointe de curiosité malsaine mise à découvert par l'utilisation de lapsus appuyés. Il me fallait mettre les choses au clair rapidement si je décidais d'accepter ce qu'il me proposait. Je détachai le fourreau de mon épée de ma ceinture et le posai sur la table de la main droite, gardant la gauche posée sur ma cuisse, sous la table, près de mon couteau. Plus par habitude que par appréhension. Sur la petite table en bois sculpté, mon épée à deux mains de taille surprenante, ornée d'un rubis d'un côté et d'un onyx noir de l'autre, paraissait plus gigantesque encore. Je posais une main épaisse et calleuse dessus avant de m'exprimer:

-"Cette épée, ainsi que le bras qui repose dessus seront vos alliés dans votre entreprise vindicative, car il s'agit bien de vengeance, c'est toujours une question de vengeance...mais à deux conditions seulement. Des conditions simples mais importantes. Et surtout non négociables.
Premièrement, on fait ça à ma manière. Seul compte le résultat. Si vous faites appel à moi c'est que vous devez avoir épuisé les autres alternatives et que vous êtes décidé et motivé.
Secondement, le paiement se fait en deux temps. La première moitié avant et l'autre une fois le contrat honoré. Ainsi si vous changez d'avis, que vous renoncez, je garderai l'or déjà versé.
Si nous sommes d'accord sur ces points, alors nous pourrons parler rémunération puis de la victime. Alors, j'accepterai ou non."

Le ton pris avait été ferme mais neutre. Les choses devaient être mises à plat sans attendre et l'encapuchonné ne devait pas s'attendre à de mielleuses attentions en venant quérir ce genre de service, quelle que soit sa fortune...

Une fois mes conditions énoncées, un silence s'installa, seulement brisé par une jolie serveuse aux formes généreuses et à la crinière blonde qui posa nos commandes sur la table. Je la fixai un instant du regard pendant qu'elle partait. Alissia était ma préférée et elle le savait, le petit sourire qu'elle m'adressa en partant en était on ne peut plus révélateur. De retour dans le mutisme ambiant de ma table, je calquai mes gestes sur ceux de mon voisin de table en portant mon verre à la bouche. Lui, cependant, ne but pas et engagea le dialogue.

Il mit tout de suite les pieds dans le plat et me qualifia de démon. Il ne pouvait pas savoir, et c'était sûrement une supposition liée à ma taille, j'en avais l'habitude. Les humains croient toujours tout savoir car ils sont bourrés de préjugés. Les humains qui m'égalaient en stature ne couraient pas les rues mais n'avaient quand même rien d'exceptionnel. De toute façon, peu m'importait que je fusse démasqué alors, je comptais déjà quitter la ville avant de le rencontrer et cette mission serait ma dernière à Treilka. Treilka, seul endroit où les humains sont effectivement très orgueilleux et fiers à outrance. En trop grand nombre cette race était insupportable. Je préférais de loin la modestie de la campagne.

A ces mots je restai de marbre et écoutai la suite. Voilà maintenant qu'il prônait l'égalité des races... Affligeant. Mais il paierait grassement selon lui, j'encaissai donc, pour le moment. Je ne désirais pas créer une chasse au démon car je savais que seul face à une ville entière, mes chances étaient plus que réduites, je ne me voilais pas la face... De plus je n'aimais pas être l'objet de commérages houleux et inutiles, ce qui semblait être une spécialité de la région. Je n'eus pas le temps de répondre qu'il me laissa en plan, attiré par une silhouette féminine à l'extérieur. Je décidai de les observer.

La rencontre devint vite inamicale et mon futur débiteur s'enfuit, suivi de près par la femme. Je sortis à mon tour, gratifiant le regard inquiet de la tenancière d'un signe de tête rassurant, et m'enfonçant dans la ville qui s'assombrissait dans la nuit. L'agilité et la vitesse de la chasseresse étaient telles qu'il devait s'agir d'un vampire, sans nul doute. *Peut-être celle dont il venait de me parler? Non, ça ne collait pas.* Je les suivis donc sans difficulté, préférant utiliser les rues plus stables que les toits rendus glissants par la neige, *Satanée neige!*, jusqu'à une rue marchande où je vis les deux coureurs sauter dans une bouche d'égout ouverte. Je m'approchais doucement et écoutais attentivement. Lorsque je n'entendis plus le bruit de leurs pas dans les tunnels j'entamai moi aussi la descente. Bien sûr mon gabarit ne pouvait pas se faufiler aussi facilement mais, doucement et en faisant le moins de bruit possible, je m'immisçai dans le trou étroit et arrivai en bas. Deux longs couloirs prenaient naissance là où je me trouvais et un bref instant je ne sus plus où aller.

Heureusement, les bruits de pas prirent de nouveau de l'ampleur, notamment grâce à l'écho, à moins que ce ne fussent ceux d'un combat qui débutait... Quoiqu'il en soit, je marchai sans me presser dans leur direction. Je verrais bien quoi faire le moment venu. D'ailleurs, je ne tardai pas à les trouver dans un embranchement où les conduits s'élargissaient pour laisser un maximum d'espace aux pugilistes acharnés. On aurait dit que l'endroit avait été sciemment choisi. L'endroit ne baignait pas dans la lumière mais les quelques rais de clarté s'insinuaient par des plaques d'égout. Celle-ci donnait sur la place marchande à en juger par les bruits.

Je restai dans l'ombre. J'observai l'action qui se déroulai sous mes yeux, sans bouger malgré l'odeur infecte et ma position incomfortable, décidant d'intervenir dans le seul cas où l'homme m'en ferait signe - car il savait que j'étais là, je le sentait. Comme si... - *De toute façon, quoi qu'il arrive, je ne laisserai pas mon butin mourir aussi bêtement.*

La situation dans cette grotte souterraine artificielle puante traînait en longueur, l'humain et le vampire semblaient avoir décidé de mettre ma patience à l'épreuve. Mais j'étais résigné à évaluer la force de celui que je devrais avoir sur le dos durant la mission qu'il voulait me donner, peu m'importait le temps que ça prendrait et la position inconfortable où je me trouvais.

Soudain, l'atmosphère silencieuse déjà malodorante se chargea d'un léger relent de putréfaction. Ce n'était pas naturel, l'humain préparait quelque chose. Cette pensée ne tarda pas à se vérifier car le vampire ricanant bêtement reçut, venant de nulle part, un vêtement en pleine face. Ce qui eut pour effet de provoquer un cri de rage mêlée de douleur chez la vampire qui se tenait maintenant le visage à deux mains. L'autre en profita pour se dégager de la souricière dans laquelle il s'était caché, courant dans ma direction pour occuper plus de terrain. Il dégaina un couteau et blessa inutilement son agresseur à la gorge. Entailler un vampire à cet endroit n'avait pas plus d'effet que de lui enfoncer une écharde dans le doigt. Quitte à oser le corps-à-corps avec l'un de ces buveurs de sang, il valait mieux directement viser le coeur ou trancher la tête. En l'occurrence le coup n'avait fait qu'émoustiller davantage son assaillant.

Se rendant compte de son erreur, il tenta d'agir autrement. Par quelque acrobatie il malmena de nouveau la jolie fille maintenant défigurée et la laissa planter ses griffes pour l'immobiliser au sol. C'est qu'il n'avait pas froid aux yeux le bougre! Avec les maigres moyens que lui prodiguait sa race il se débrouillait bien. Mais même s'il pouvait venir à bout d'une vampire fraîchement transformée, ses yeux et son impulsivité l'avaient trahie, comment s'en sortirait-il face à des ennemis plus puissants? Ça valait le coup d'essayer, par curiosité.

C'est alors qu'il m'invita à achever sa victime. Il voulait certainement me mettre à l'épreuve, mais pourquoi devrais-je m'abaisser à ôter la vie d'un être déjà soumis? Une telle basse besogne n'avait rien de glorieux. Mais je sortis tout de même de l'ombre et m'avançai vers le couple violemment attaché. Tuer ce cafard me distrairait... Ainsi je m'approchai, dominai quelques instants de toute ma hauteur l'humain et le vampire piégés dans une position qui aurait pu paraître lascive, et sans dire un mot, je levai mon pied au dessus du visage estropié et hargneux pour le laisser retomber sans retenue sur celui-ci, y ajoutant tout mon poids pour l'écraser.

La caverne urbaine s'emplit d'un craquement osseux et funeste qui me fit tressaillir de plaisir et surprit l'humain qui recula légèrement sans s'en rendre compte. Il ne devait évidemment pas s'attendre à un tel spectacle... La partie non masquée de son visage, maintenant visiblement entouré de mèches rousses, marquait l'étonnement.

-"Quoi? Vous l'aviez déjà défigurée de toute manière. Au moins là, elle ne bougera plus le temps de lui perforer le coeur, juste histoire d'être sûrs qu'elle ne reviendra plus. Ensuite nous pourrons parler tarif. Votre offre m'intéresse."

Le silence s'empara de nouveau des lieux, et je pus presque entendre le coeur de l'humain s'emballer tellement son regard brillait de haine à mon encontre à ce moment précis. Puis, les yeux toujours brillants, celui qui ne m'avait toujours pas révéler son identité se ressaisit. D'une voix calme qui contrastait avec des mains crispées, il commença à me faire la morale... Intérieurement, je soufflais d'indignation en écoutant un interminable dithyrambe sentimental comme seuls les humains peuvent en inventer. Et voilà qu'il remettait ça sur l'insensibilité des démons, d'ailleurs il fallait que j'intervienne à ce propos.

Mais comme il en avait pris l'habitude, le sermonneur n'attendit pas de réponse et pris sur lui d'en finir avec son amie sur le champs. Décidément, lui qui prônait un traitement égalitaire de nos deux races passait son temps à donner des leçons. Je restai tout de même silencieux le temps qu'il extirpe le coeur d'une poitrine qui se macula instantanément de sang. Puis, après qu'il m'eut posé l'organe inerte dans la main en guise d'offrande, il souleva le cadavre de terre et partit sans même me jeter un regard.

Je le regardai faire, figé entre l'incompréhension et la jalousie. Je n'arrivais pas à ressentir ce genre de choses pour qui que ce soit et cela n'avait rien à voir avec ma race comme il le prétendait. Les hasards de la vie en avaient simplement décidé ainsi... Je regardai le coeur encore chaud dans la paume de ma main et dans un instant de solitude amère je refermai mon poing dessus. De mes doigts serrés, au point de prendre une teinte laiteuse, jaillit une immonde purée violacée noyée dans un liquide épais. Reprenant tout à coup mes esprits, je lâchai ce qui n'avais plus rien à voir avec un coeur et qui tomba dans l'eau croupie des égouts dans un "splash" étouffé, et scanda au tunnel:

Il devait m'avoir entendu. L'écho l'y aurait aidé en tout cas.
Je décidai de prendre un autre chemin pour rentrer à l'auberge où j'habitais depuis peu. Avec son cadavre dans les bras, l'humain ameuterait certainement les badauds et je préférais passer inaperçu. Du moins autant que je le pouvais. Heureusement, la neige nettoierait le sang et les fragments d'os incrustés sous mes semelles.

[...]

Le lendemmain, le soleil ne se levait qu'à peine et j'attendais déjà au lieu convenu. Je regardai la ville s'éveiller, adossé à la grande porte qui ne tarderait certainement pas à s'ouvrir...

L'aurore illuminait déjà depuis quelques minutes une Treilka blanche et verglacée et l'humain ne se montrait toujours pas. La vue qui s'offrait à moi et les portes de la ville que je sentais dans mon dos s'ajoutaient pour finir de me décider à quitter les lieux. Malheureusement, ces portes tardaient à laisser le passage libre. C'est alors qu'un individu familier fit son apparition au détour d'une rue, cette fois entièrement vêtu de noir tel un assassin partant pour une nuit de travail. A ceci près que le jour se levait et qu'à nous deux, nous ne passerions évidemment pas inaperçu: un géant accompagné d'un homme masqué... Bref, c'était son choix. De toute façon je serais bientôt parti.

Une fois à mon niveau, je me rendis compte que la nuit n'avait pas due être des plus réparatrices pour mon nouvel ami. Les yeux, seuls éléments visibles de son anatomie semblaient fatigués. Sa tenue assurée, heureusement, donnait le change. Il faut dire qu'il n'y avait pas tellement d'heures que ça que nous nous étions quittés la veille. Quelques heures de sommeil suffisant à remettre mon corps et mon esprit de démon d'aplomb, je n'avais pas pensé à ce détail. Cette nuit lui avait visiblement porté conseil car ses premiers mots furent des excuses. Il regrettait son comportement et s'en excusait. Il faisait un pas vers moi, peut-être ayant compris qu'il avait plus besoin de moi que moi de lui. Et il se présenta enfin: "...Anator Dalonevar, chef de la guilde des Hunter..."

De plus, la mission initiale semblait avoir pris un détour, ce qui ne m'enchantait pas, mais l'annonce de la paye tut mes derniers doutes. Evidemment, je n'étais pas du genre à accepter sans faire monter les enchères, mais il était déjà généreux alors je m'en satisfis.

-"J'accepte vos excuses. Mais pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions: vous pouvez avoir les préjugés que vous voulez sur les autres races et penser ce que vous voulez de moi tant que vous ne me mettez pas en difficulté inutilement. Enfin, le tarif me convient, à condition bien sûr que les frais de bouche et l'hébergement soient à votre charge. Si nous sommes d'accord, il ne restera qu'un détail à régler avant que je ne vous suive sur le champ."

Je tendis alors la paume d'une main rude et à l'image du reste de mon corps vers le dénommé Anator qui ne serait pas déçu de sa dépense...

L'affaire était faite, l'embauche était maintenant officielle. Je n'avais plus d'autre choix que de suivre cet homme où bon lui semblerai d'aller. Aller où d'ailleurs? D'après ce que j'avais compris, dans un repaire de vampires: ce fragile petit être démontrait une fois de plus son courage, ou bien sa témérité, sa folie... Sauf s'il comptait me jouer un mauvais coup, se servir de moi à mes dépens. Comment savoir? Ma seule option était donc de suivre avec méfiance mais sans rechigner, pour l'instant.

-*Il était riche ou bien particulièrement déterminé, ou même les deux pour avoir lâcher une somme pareille à un inconnu patibulaire. Tout ça sentait mauvais mais la fange, j'étais né dedans, alors je n'avais aucune raison de m'inquiéter. Je le suivrai, puis je verrai le moment venu, et tout s'éclaircirai dans mon esprit, comme d'habitude...*

Bizarrement, contrairement à ce à quoi il m'avait habitué jusqu'ici, il était avare de parole. C'est donc dans un silence déconcertant mais reposant après le tumulte de la ville que nous marchions sur le chemin que j'empruntais la veille pour me rendre à Treilka, après avoir pris du bon temps dans le Bois. D'ailleurs, j'avais eu l'occasion de visiter les lieux que nous traversions maintenant. Au fur et à mesure que nous avancions, de plus en plus de grands chênes bordaient notre chemin caillouteux, et une multitude de buissons et de rochers semblaient nous défendre de quitter la sente tellement la forêt semblait dense d'où nous étions. Mais je savais qu'en contrebas à quelques centaines de mètres, une toute petite clairière s'ouvrait dans la végétation, juste à côté d'une cabane abandonnée. Je l'avais notée car c'était l'endroit parfait pour bivouaquer sans être vu tout en épiant les passants. Une place de rêve pour une embuscade.

L'idée me vint d'ailleurs d'en profiter pour en finir avec mon bienfaiteur et lui prendre le reste de son or, mais aucune bourse ne pendait à son côté: mieux valait donc continuer plutôt que gâcher une telle opportunité. De plus, son histoire m'avais intrigué et ma curiosité était ne pouvait supporter d'arrêter là. Ma mission était d'aider à tuer un vampire et c'est ce que je ferai.

Alors que le léger brouillard qui avait recouvert la région pendant la nuit se dissipait, le staccato de sabots martelant les cailloux glacés se fit entendre. La réaction de mon acolyte qui me devançait ne se fit pas attendre: il sortit du chemin pour laisser passer ce qui arrivait. Je l'imitais, m'infiltrant entre deux arbres bordant le sentier. Derrière moi, aucun bruit, pas même le chant d'un oiseau; devant, le martèlement pressant se faisait de plus en plus audible voire visible. Quand le cheval effrayé passa devant nous, je pus voir un elfe évanoui sur son dos, encaissant les contrecoups de la cavalcade sans réagir. L'air se mit à odorer un fumet bien connu de mes narines: l'odeur métallique du sang émanait de l'elfe.

Une fois les intrus hors de vue et bientôt d'ouïe, le silence qu'ils laissèrent ne dura pas longtemps. Des rires affectés et presque inhumains s'élevèrent, sûrement de cette fameuse clairière. Des rires qui ne laissaient présager rien de bon, mis à part un peu d'exercice. Lorsque je regardais derrière moi pour tenter d'apercevoir quelque chose, je ne vis qu'Anator qui s'enfonçait dans les fourrés. Je le stoppai silencieusement en posant doucement ma main sur son épaule, pour ne pas provoquer de réaction involontaire, et quand son regard croisa le mien, je posai mon index sur mes lèvres et lui signifia que j'allais faire le tour. Il ne répondit pas mais son regard semblait acquiescer. Je n'attendis donc pas plus longtemps et m'engageait à mon tour dans les profondeurs du Bois.

Je pris soin de faire le moins de bruit possible et avançai donc lentement, mais silencieusement. De plus, par chance, des gerbes de neige tombant parfois des hautes branches couvraient les bruits sourds involontaires que je pouvais faire. C'est donc sans difficulté que je réussis à atteindre l'endroit d'où venaient les rires. J'observais la scène, décidant d'attendre qu'Anator décide d'intervenir pour le rejoindre, refoulant l'envie de faire de cette forêt un gigantesque brasier pour voir comment ils s'en sortiraient.

D'un premier coup d'oeil, je remarquai deux personnes qui me tournaient le dos et faisaient face à une elfe, attachée à un arbre. Ils la torturaient sans aucun doute et vu ce qui était arrivé à l'autre, elle ne vivrait certainement plus très longtemps. Les deux hommes ne semblaient pas être des démons, à moins qu'ils ne puissent cacher leur aura aussi bien que moi ce qui était peu probable mais pas impossible, ni des vampires, les rayons du soleil transperçant la dentelle de la charmille au dessus d'eux le prouvait. Par conséquent, aucune difficulté apparente au combat qui suivrait certainement. Par contre, les fenêtres de la cabane étaient calfeutrées: la personne dont je pouvais sentir la présence dans la cahute n'était sûrement pas un humain. J'avais déjà vu des humains vénérer les vampires au point de se sacrifier pour être simplement en leur présence, leur servant de rempart contre le monde quand ils étaient pris au dépourvu en pleine journée, comme il semblait en être le cas à ce moment précis.

La tête blonde de l'elfe se contracta encore une fois de douleur, provoquant d'autres rires chez ses tortionnaires. Le vent froid et insidieux entra sous ma chemise en toile grossière et je sentis ma température s'élever doucement, attendant le carnage avec impatience...

Anator m'avait suivi, silencieux, jusqu'à l'orée de la petite clairière. Visiblement le spectacle que nous offraient les deux malfrats ne plaisait pas le moins du monde à l'humain: des gestes involontaires de ses mains et des allées et venues rapides de son regard coléreux de moi à la cabane trahissaient sa fébrilité. Contrairement à moi, il semblait impatient de se battre, quitte à foncer tête baissée pour une cause qui avait ici peu de chances de survivre.

-*Ces humains sont décidément trop impulsifs...*

Tellement impatient qu'il me questionna sur la cabane et n'attendit pas ma réponse qui sans doute fut trop longue à venir pour lui. Il décida de se présenter directement à eux, sans savoir ce qui l'attendrait. Il partit si vite que j'eus à peine le temps de lever un bras dans sa direction pour l'en dissuader, un geste qu'il ne vit pas. Il voulait sûrement mourir... Ou peut-être était-il plus stupide qu'il ne le paraissait et croyait sincèrement qu'affronter les trois en une fois lui donnerait plus de chances. Moi, j'aurais d'abord tué les humains en silence, du moins autant que faire se peut, pour ensuite envisager de m'attaquer à l'inconnu. Bref, je devais faire avec ce boulet à ma cheville ou le laisser mourir sans rien faire. La question resta sans réponse dans mon esprit le temps de voir Anator se faire prendre au piège comme un imbécile. Peut-être comptait-il réellement sur moi pour le sauver, peut-être n'était-ce qu'un test. Mais lorsque l'un des nervis appela son maître au secours, je me décidais à intervenir.

Celui qui ouvrit la porte en bois pour entrer en scène n'était pas un vampire, évidemment, mais un démon supérieur qui arborait une épaisse chevelure rousse coiffée en cadenettes tout aussi épaisses, ternies par la guerre et les combats d'il y a bien longtemps. Sa taille avait de quoi impressionner, même moi je pouvais me sentir ridicule à ses côtés. Mais sa haute taille n'accompagnait pas un physique de guerrier, d'ailleurs sa mise était celle d'un aristocrate.

Lorsque je le vit sortir, apparemment mécontent d'avoir été dérangé, je me montrais également, jouant les trouble-fêtes d'une réunion déjà hostile. Ma présence sembla détendre le visage du colosse qui esquissa un sourire en dégainant un sabre au manche damasquiné et à la lame brillante. Je lui rendit son sourire en défouraillant à mon tour dans un moulinet fauchant l'air dans un sifflement rauque. C'est alors qu'il lança à ses laquais d'une voix assurée:

-"Laissez cet homme! Je ne veux pas être dérangé durant le duel qui va suivre."

Le balafré obtempéra puis recula près de l'elfe sonnée avec l'estropié pour laisser place et ne rien rater du spectacle. Anator resta un instant figé, me lançant un regard incrédule jusqu'à ce que je le rejoigne, un sourire en coin toujours accroché aux lèvres. Je lui dis à l'oreille:

-"A ma manière, rappelez-vous...- et faisant un signe de tête en direction du démon qui s'impatientait - ...et dans cinq minutes tout sera réglé. En attendant, restez tranquille et profitez du spectacle."

Puis sans attendre de réponse, je rejoignis mon adversaire, l'épée à la main, lâchant dans un souffle un "A nous!" décidé.

Nous commençâmes à nous tourner autour, toujours en garde, quand il attaqua de taille, ne trouvant que mon épée pour butoir, et je tournai sur moi-même en me rapprochant de lui pour lui asséner un violent coup de coude dans les côtes. Lui ayant momentanément coupé le souffle, j'en profitais pour reprendre position et lui laisser une nouvelle chance. Cette fois il retint la leçon et feinta du pied droit pour en fait tailler dans les jambes. Une manœuvre subtile mais pas suffisante pour abuser Alastor. J'esquivai donc la lame en sautant à pieds joints puis retombai dans un bruit sourd juste après son passage. J'exploitai à l'instant le déséquilibre que son mouvement avait provoqué pour l'aggraver d'un revers de ma senestre et achever la parade en frappant sa nuque d'un coup de manche de mon épée maintenue à deux mains. Le géant tomba à la renverse et roula dans l'herbe blanche, puis sans perdre contenance, il se redressa la tête en s'aidant de ses coudes et me regarda d'un air amusé. Un nouveau sourire laissa entrapercevoir des canines pointues pour exploser en un rire tonitruant dans lequel il prononça comme pour lui-même:

-"Alastor..! Toujours le même!"

Il attrapa la main que je lui tendis après avoir rengainé mon arme alors que je le rejoignis dans un rire guttural. Cela faisait plus de trois cent ans que nous ne nous étions pas revus et Korvak n'avait visiblement fait aucun progrès depuis, alors qu'il m'avait embauché en tant que maître d'arme. Ça avait été un élève très médiocre, mais il s'était révélé être un bon ami. De plus, il n'avait nul besoin d'épée pour être redoutable car il excellait dans la magie du feu et des arcanes. Je lui répondit par une boutade à laquelle répondit par un haussement d'épaules complice.

-"Toi aussi! Toujours aussi bon épéiste..."
-"Pour ce que ça me sert, - puis montrant son sabre- juste un jouet que je me suis offert, aucune utilité... Tu prendras bien un petit verre de ma cuvée spéciale?"

J'acquiescais sans mot dire et je le suivis dans la cabane. Au passage je lançai un regard à Anator qui devait sembler encore perdu sous son masque si j'avais pu voir son visage, puis je lorgnai rapidement vers l'elfe pour revenir sur Anator. Je savais que la vie de cette créature lui importait, même si je ne comprenais pas pourquoi, c'est la raison pour laquelle je hochai la tête pour signifier que j'essaierai.

L'entretien ne dura pas longtemps, nous n'avions pas tellement de choses à nous dire finalement et passées les banalités d'usage et quelques souvenirs, nous en vînmes au fait qui préoccupait mon acolyte. De l'extérieur les autres ne pouvaient entendre que bois qui grince et rires saccadés. Dix minutes plus tard je sortis de la cabane et alla tout simplement détacher la moribonde évanouie sous les regards ahuris des deux spadassins de fortune de mon ami, la mis sur mon épaule et rejoignis doucement le chemin que nous avions quitté Anator et moi quelques instants auparavant, afin de reprendre la route. Celui-ci n'avait certainement pas aimé être mis sur la touche mais il devrait faire avec. Il devrait ranger son caractère d'humain pour se rendre compte qu'autrement il serait déjà mort. Je lui glissai au passage:

-"Vous me devez dix pièces d'or supplémentaires pour l'elfe. Et tâchez de ne plus agir aussi impulsivement à l'avenir. Car un homme émotif est un homme mort dans ce genre de quête... Je ne pourrai pas toujours vous sauver la mise. Pensez-y."